La précarité énergétique : entre pauvreté et vulnérabilité environnementale
AUTEURS : SÉVERINE DEGUEN, WAHIDA KIHAL (CNRS) & JANE-LISE METTON (UNIVERSITÉ DE BORDEAUX)
La précarité énergétique, apparue dans les années 1970 au Royaume-Uni sous le terme fuel poverty, désigne la difficulté pour un ménage à chauffer convenablement son logement sans consacrer une part excessive de ses revenus à l’énergie. Dans les années 1990, elle est formellement définie comme une situation où plus de 10 % des revenus sont alloués aux dépenses énergétiques. Le gouvernement britannique a alors lancé « The Fuel Poverty Strategy » pour réduire cette vulnérabilité.
Une reconnaissance tardive mais progressive en France
En France, ce n’est qu’à la fin des années 1980 que les premières initiatives apparaissent, notamment avec des dispositifs d’aide comme le revenu de solidarité. Mais c’est la loi Grenelle 2, adoptée en 2010, qui marque un véritable tournant : elle définit la précarité énergétique comme l’incapacité à accéder à une énergie suffisante pour répondre à ses besoins essentiels, en raison de faibles revenus ou de conditions de logement inadéquates.
Un phénomène en croissance en France et en Europe
D’après Eurostat (enquête EU-SILC), la précarité énergétique varie selon les pays européens : les ménages du Sud sont plus touchés par l'incapacité à chauffer leur logement que ceux du Nord. La France se classe 10e parmi les pays les plus impactés.
Selon l’Observatoire National de la Précarité Énergétique (ONPE), créé en 2011, 5,6 millions de foyers, soit environ 12 millions de personnes, étaient en situation de précarité énergétique en 2016. Les données récentes révèlent une augmentation constante :
En 2021, 12 % des ménages modestes ont consacré plus de 8 % de leurs revenus aux factures énergétiques (contre 10 % en 2020).
69 % des ménages ont réduit leur chauffage pour raisons financières.
59 % déclarent avoir souffert de la chaleur en 2021, notamment à cause de la canicule, d’un mauvais isolement ou d’une ventilation insuffisante.
Trois approches pour mesurer la précarité énergétique
De nombreux chercheurs à travers le monde se sont penchés sur la question de la précarité énergétique en élaborant des indicateurs visant à mesurer cette problématique à l'échelle individuelle. Ces indicateurs se regroupent généralement en trois approches : économique, subjective et de privation (4). Ils permettent d'évaluer si un ménage se trouve en situation de précarité énergétique ou non.
L’approche économique
Taux d'effort énergétique : si les dépenses énergétiques dépassent 10 % du revenu disponible.
After Fuel Poverty : un ménage tombe sous le seuil de pauvreté une fois les dépenses énergétiques déduites.
Bas Revenu Dépense Élevée (BRDE) : le ménage est sous le seuil de pauvreté à cause de dépenses énergétiques importantes.
Ces indicateurs ne tiennent pas compte des ménages qui restreignent leur consommation ni des spécificités régionales ou du confort thermique réel.
L’approche subjective
Basée sur le ressenti des habitants, elle s’appuie sur des enquêtes mesurant l’inconfort thermique ou la perception du froid. Ces données sont croisées avec les températures observées dans les logements. En France, la loi impose une température minimale de 18 à 19 °C dans les habitations.
L’approche par privation
Elle compare la dépense énergétique réelle à une dépense théorique idéale, en fonction des caractéristiques du logement. Bien que pertinente, cette méthode reste difficile à mettre en œuvre sans données détaillées sur les logements.
Les indicateurs de référence en France
L’ONPE utilise trois indicateurs principaux pour surveiller la précarité énergétique :
Le Taux d’Effort Énergétique ≥ 8 %
L’indicateur Bas Revenu Dépense Élevée (BRDE)
Le ressenti au froid
Ces outils permettent d'identifier les populations les plus vulnérables, afin d’adapter les politiques publiques en matière de rénovation énergétique, d’aide sociale et d’aménagement territorial.