Le cumul d’expositions environnementales, un enjeu de recherche en santé publique
AUTEURS : SÉVERINE DEGUEN, WAHIDA KIHAL (CNRS) & NATHAN OUVRARD (UNIVERSITÉ DE BORDEAUX)
Dans le domaine crucial de la santé environnementale, l’analyse du cumul des expositions environnementales revêt une importance capitale. Les pathologies liées à l’environnement, souvent multifactorielles, présentent des délais d’apparition longs, notamment pour les maladies chroniques et certains cancers. Ces maladies peuvent aussi résulter d’effets combinés (effet cocktail) et parfois avoir des répercussions transgénérationnelles, ce qui complique l’évaluation précise de leur impact sanitaire et la compréhension des liens entre environnement et santé.
Les facteurs environnementaux regroupent des expositions variées, telles que la qualité de l’air intérieur et extérieur, le bruit ambiant, le contexte socio-économique ou encore l’exposition aux rayonnements. Jusqu’à présent, les études épidémiologiques ont surtout examiné les effets sanitaires d’un seul agent polluant à la fois, en tenant compte de certains facteurs de confusion.
Actuellement, les outils permettant d’évaluer le cumul des expositions environnementales à l’échelle territoriale restent rares. Pourtant, ces outils sont indispensables pour identifier les zones à fortes pollutions, souvent appelées points noirs environnementaux, et la sur-exposition des populations vulnérables, notamment les groupes socioéconomiquement défavorisés. Le développement de méthodes adaptées est donc un enjeu prioritaire pour la recherche en santé publique.
Dans la littérature scientifique, les démarches pour construire des indicateurs environnementaux composites ou scores de multiexposition sont relativement récentes. Les points noirs environnementaux (PNE) ont été introduits dès 2009 dans le Plan National Santé Environnement (PNSE2). Depuis, plusieurs travaux méthodologiques ont été publiés en France.
En 2014, une méthode innovante a été proposée via l’analyse factorielle statistique pour créer un indice composite d’exposition, permettant d’évaluer la charge environnementale des populations. Cette approche a été appliquée dans l’agglomération du Grand Lyon, en utilisant comme indicateurs la concentration annuelle de NO2 dans l’air, les niveaux sonores, ainsi que la proximité d’espaces verts, d’industries, de sites pollués et du trafic routier. Ces indicateurs ont été analysés à l’échelle des IRIS grâce à une Analyse Factorielle Multiple (AFM), suivie d’un regroupement par classification hiérarchique.
REGROUPEMENT DES IRIS EN CINQ CLASSES
Un type d’IRIS très particulier au sein desquels peu ou pas de population résidait;
Des IRIS résidentiels et verdoyants, avec un niveau d’exposition aux nuisances environnementales plus faible que la moyenne estimée sur le territoire du Grand Lyon ;
Des IRIS résidentiels proches du centre-ville exposés au bruit et à la pollution de l’air ;
Des IRIS proches des industries ; et
Des IRIS urbains du centre-ville, avec un niveau d’exposition aux nuisances environnementales plus élevé que la moyenne estimée sur le territoire du Grand Lyon, et moins d'espaces verts.
Cette méthode d’analyse statistique combinée au regroupement hiérarchique reste sous-exploitée pour évaluer les expositions environnementales cumulées. Bien qu’elle ne permette pas d’évaluer directement les risques sanitaires, l’indice ainsi obtenu est un outil précieux pour localiser les zones d’exposition élevée, guider les politiques urbaines, et comparer la charge environnementale entre territoires.
Des travaux récents menés par le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) en 2019 et 2021, l’Institut National de l’Environnement Industriel et des Risques (INERIS) en 2020, ainsi que l’Observatoire Régional de Santé (ORS) d’Île-de-France en 2022 s’appuient sur ces approches. Certains s’inspirent de l’outil CalEnviroScreen, développé dès 2008 par l’Office of Environmental Health Hazard Assessment (OEHHA) aux États-Unis.
De manière générale, les scores de multiexposition combinent plusieurs indicateurs environnementaux spatialisés. La principale difficulté réside dans la standardisation méthodologique : chaque indicateur a ses unités, son poids dans les effets sanitaires et sa relation spécifique avec la santé, ce qui complique le calcul d’un impact sanitaire global précis.
Néanmoins, ces scores environnementaux composites sont essentiels pour aider les décideurs locaux, régionaux et nationaux à prioriser les actions, mieux cibler les interventions selon les territoires et populations à risque, et renforcer la visibilité des résultats et programmes mis en œuvre.